Ce blog est destiné à rassembler le résultat d'une exploration menée depuis une vingtaine d'année à partir de la notion de Métier. Derrière ce mot, j'ai bien évidemment découvert toute une culture orale du bien faire à partir de soi, mais surtout des modes opératoires extrêmement intéressants.

En y réfléchissant, j'ai trouvé une clé d'actualisation de ces modes opératoires. Pour passer du monde de la matière à celui de l'information sans perdre nos savoir-faire individuels et collectifs, il suffit
de poser : "Est matière ce qui résiste". Le bois résiste, le bois est une matière, la pierre résiste, elle en est également une. De ce fait, nous pouvons considérer que toutes les contraintes auxquelles nous nous confrontons aujourd'hui sont des matières que nous pouvons transformer, et même mieux : utiliser. En vingt ans je n'ai rien découvert qui aille contre ce principe, au contraire, il est infiniment fécond. Il permet de tirer parti de notre culture professionnelle et non de la nier pour en importer de moins adaptées à ce que nous sommes et à ce qu'est le monde aujourd'hui.

Depuis je me suis fabriqué une nouvelle façon de réfléchir reposant non pas sur des présupposés fixes (ce qui est le propre de toute théorie) mais sur des questions qui donnent des points de repères au praticien que je suis. Par ailleurs j'ai également fabriqué des "outils" permettant à ceux qui les utilisent de transformer eux-mêmes leurs contraintes en outils. De ce fait, toute situation peut être prise comme un point d'appui concret vers un mouvement qui emporte vers de nouveaux horizons. Ici c'est le geste et la contrainte qui ouvrent à l'avenir et non pas une idée que nous tenterions de mettre en oeuvre.

Je vais m'efforcer de diffuser progressivement et le plus clairement possible ce que j'ai redécouvert pour le restituer, non à ceux qui me l'ont transmis - souvent sans le savoir ! - mais à d'autres, vous par exemple.

Mes coordonnées : dominique.fauconnier@wanadoo.fr

dimanche 22 avril 2012

Le Métier, peut-on le dire avec des mots ?



Pour pénétrer dans l’univers du métier, il ne faut pas, curieusement, commencer par tenter de le définir, il est préférable de l’aborder par le biais de l’expérience que nous en avons, chacun de nous. Lorsque nous rencontrons une personne ayant le même métier que nous, nous commençons à parler avec elle, nous cherchons des points de compréhension, et nous construisons progressivement un terrain d’entente nous permettant ensuite d’aller plus loin et de profiter pleinement de cette rencontre en ce qu’elle est susceptible de nous donner des éclairages sur notre propre pratique et auxquels nous n’aurions peut-être pas pensé auparavant. C’est toute la force des rencontres professionnelles que de permettre cette sorte d’échange où l’autre nous aide à mieux réfléchir nos propres pratiques.

Le rencontre entre deux personnes, ou deux groupes de personnes, ayant des façons différentes de voir le même métier, est en effet féconde car elle oblige chacun a préciser ses propos, à mieux les définir, et ainsi à se rapprocher encore un peu des spécificités qui sont les siennes. Cela fonctionne également avec des métiers différents car si, de part et d’autre, chacun fait l’effort de comparer ses pratiques en profondeur il trouvera des points communs – on en trouve toujours ! – avec ses interlocuteurs et aura gagné ainsi une nouvelle occasion de réfléchir à son propre métier.
Si nous revenons au mot « Métier » nous remarquons qu’il renvoie à des réalités perçues par chacun de nous et qu’il nous permet de les désigner. Un boulanger ou un menuisier évoquent chacun une image de métier traditionnel associé à des réalités physiques propres, la farine pour l’un et le bois pour l’autre. Nous pourrions décrire avec nos mots ce que nous percevrions de ces métiers si nous nous en rapprochions. Si nous considérons le menuisier, nous pouvons imaginer qu’il choisit son bois selon le meuble qu’il réalise, si c’est là son activité, qu’il scie, qu’il agence, qu’il assemble, qu’il évalue, qu’il juge, qu’il polit, qu’il vérifie, éventuellement qu’il peint ou qu’il vernit, qu’il livre, qu’il explique, qu’il installe. Nous pouvons remarquer que le bois qu’il a utilisé au départ n’a cessé d’être transformé. Cependant, pour décrire ce qu’il fait à un autre menuisier, prenant appui sur l’expérience partagée d’une même réalité propre à leur métier,  il va utiliser des mots et des expressions particuliers que nous ne pouvons même pas imaginer. Si nous avions été des apprentis dans ces métiers, en dehors des gestes que nous aurions dû apprendre en les pratiquant sans relâche, nous aurions également appris tout un langage nous permettant de pénétrer dans l’univers de ce métier particulier et d’être capable d’ajuster progressivement nos gestes à ceux des autres. Chaque métier développe ainsi un langage spécifique, et plus un métier se spécialise, plus le langage qu’il utilise se précise et se singularise.
Nous pourrions prolonger ce rapide tour d’horizon en prenant des exemples de métiers n’étant pas liés à des matières physiques telles que le sont la farine ou le bois mais à des réalités « immatérielles ». Le comédien comme l’instituteur rentre dans cette catégorie et chacun d’eux développe un langage particulier pour se comprendre avec ses pairs. Si nous allons plus loin, nous pouvons également prendre en considération le fait que le mot métier peut également désigner les activités d’un ensemble plus vaste de personnes. Evoquer les métiers de l’information ou ceux de la finance, par exemple, renvoie non plus à des activités individuelles mais à des réalités plus complexes touchant tout un secteur.
Dans chacun de ces métiers se développent des langages spécifiques, et dans chacun d’eux des hommes et des femmes transforment des réalités afin de rendre un service particulier.
Chaque métier a ses particularités, son langage, mais dans chaque cas, pourtant, nous utilisons le même mot « métier » pour désigner ces réalités, distinctes les unes des autres. On peut tenter de préciser le point commun désigné par ce mot. 
Le mot métier ne décrit pas une réalité tangible comme nous l’avons vu car cette dernière est propre à chaque métier, mais il décrit plutôt un type de relation entre des sujets et des réalités concrètes. Tout métier qui s’exerce transforme concrètement une réalité donnée, ce qui demande un travail et un savoir-faire spécifique. Et comme nous venons de le voir, tout métier peut être exercé par une personne ou par un ensemble de personnes. On peut associer le mot métier à chacun de ces « savoir-faire spécifiques » en précisant que la spécificité en question touche à la nature même de ce qui est transformé, non à la notion de métier en tant que telle. Le Métier nomme une relation active à des matières diverses, qu’elles soient matérielles ou immatérielles, individuelles ou collectives. C’est la relation aux choses. C’est probablement pour cette raison que le mot réapparaît lorsque l’on parle du métier de telle ou telle entreprise, ou encore du métier de père ou de mère : c’est l’engagement intime d’une ou plusieurs personnes dans une activité importante pour eux qui est ainsi souligné.
Il faut ajouter à ce savoir-faire, ou plutôt l’y intégrer, la capacité à répondre à un besoin, une attente, à une demande spécifique également. Un métier est toujours exercé au bénéfice d’autres personnes, son étymologie en conserve d’ailleurs la trace puisqu’elle contient l’idée de ministère (d'après le Petit Robert, métier viendrais du croisement entre Ministerium, menestier, ministère et Misterium, mestier). Le métier est un service. Nous retrouvons ici la notion de relation mais appliquée à autrui : c’est la relation à l’autre, celui ou ceux à qui l’on destine le produit de son activité. La finalité du métier est orientée vers autrui.
Ainsi, si chaque situation est différente, si chaque domaine est particulier, si chaque métier a ses savoir-faire propres, ils sont cependant tous pris dans un seul et même jeu de relations : le métier désigne la capacité à produire un service – cela peut passer par la fabrication d’un objet - à partir d’une réalité donnée, nous pourrions dire une matière, au bénéfice d’autrui. Il y a là, si l’on veut avoir une approche plus analytique, relation aux choses, relation aux autres et relation à une technicité. Tout métier se situe au cœur de ces trois pôles. Pour être complet, il faut ajouter un 4° pôle, celui de la relation à soi, car tout métier est exercé par une ou plusieurs personnes, il n’est pas une entité « en soi », dissociable des personnes qui l’exercent. Réussir ne se fait par hasard, cela demande de l’attention et de la volonté. Exercer un métier est une activité dans laquelle la ou les personnes s’investissent. Cela se remarque dans des expressions telles que « non, cela n’est pas mon métier » ou « je suis professeur » ou encore, « ce n’est pas un vrai métier, mais cela me permet de vivre ».
Reprenons nos quatre pôles circonscrivant le métier. Nous avons repéré le rapport aux choses, à ce qui est transformé, le bois pour l’un, les connaissances des élèves pour le second et la dynamique financière d’une entreprise pour le troisième. Nous avons repéré le rapport aux autres, celui ou ceux pour qui l’on réalise un travail, sa destination. Nous avons également repéré le rapport à la technicité - dans lequel nous pourrions inclure l’outillage - que l’on peut considérer comme ce qui permet aux personnes d’atteindre le résultat voulu, aussi bien les moyens et ressources que les gestes et les façons de faire propres à ceux qui agissent. Et puis n’oublions pas qu’un métier s’exerce par des personnes qui s’impliquent dans ce qu’ils font afin de réussir : rapport à soi. On retrouve la présence de ces quatre relations dans tout métier, ces invariants suffisent à en définir les contours. Chaque résultat est alors le produit de l’exercice d’un métier appliqué à une réalité donnée. Ces quatre repères permettent à celui, celle ou ceux à qui l’on demande de réaliser un travail de se régler avec ce qui leur permettra d’y parvenir.
Une autre façon de dire que le métier ne se définit pas en soi, mais qu'il se règle et se pratique.