Pour pénétrer dans
l’univers du métier, il ne faut pas, curieusement, commencer par tenter de le
définir, il est préférable de l’aborder par le biais de l’expérience que nous
en avons, chacun de nous. Lorsque nous rencontrons une personne ayant le même
métier que nous, nous commençons à parler avec elle, nous cherchons des points
de compréhension, et nous construisons progressivement un terrain d’entente nous
permettant ensuite d’aller plus loin et de profiter pleinement de cette
rencontre en ce qu’elle est susceptible de nous donner des éclairages sur notre
propre pratique et auxquels nous n’aurions peut-être pas pensé auparavant.
C’est toute la force des rencontres professionnelles que de permettre cette
sorte d’échange où l’autre nous aide à mieux réfléchir nos propres pratiques.
Le rencontre entre deux personnes, ou deux groupes de personnes,
ayant des façons différentes de voir le même métier, est en effet féconde car
elle oblige chacun a préciser ses propos, à mieux les définir, et ainsi à se
rapprocher encore un peu des spécificités qui sont les siennes. Cela fonctionne
également avec des métiers différents car si, de part et d’autre, chacun fait
l’effort de comparer ses pratiques en profondeur il trouvera des points communs
– on en trouve toujours ! – avec ses interlocuteurs et aura gagné ainsi
une nouvelle occasion de réfléchir à son propre métier.
Si nous revenons au mot « Métier » nous remarquons qu’il
renvoie à des réalités perçues par chacun de nous et qu’il nous permet de les
désigner. Un boulanger ou un menuisier évoquent chacun une image de métier
traditionnel associé à des réalités physiques propres, la farine pour l’un et
le bois pour l’autre. Nous pourrions décrire avec nos mots ce que nous
percevrions de ces métiers si nous nous en rapprochions. Si nous considérons le
menuisier, nous pouvons imaginer qu’il choisit son bois selon le meuble qu’il
réalise, si c’est là son activité, qu’il scie, qu’il agence, qu’il assemble,
qu’il évalue, qu’il juge, qu’il polit, qu’il vérifie, éventuellement qu’il
peint ou qu’il vernit, qu’il livre, qu’il explique, qu’il installe. Nous
pouvons remarquer que le bois qu’il a utilisé au départ n’a cessé d’être transformé.
Cependant, pour décrire ce qu’il fait à un autre menuisier, prenant appui sur
l’expérience partagée d’une même réalité propre à leur métier, il va utiliser des mots et des
expressions particuliers que nous ne pouvons même pas imaginer. Si nous avions
été des apprentis dans ces métiers, en dehors des gestes que nous aurions dû
apprendre en les pratiquant sans relâche, nous aurions également appris tout un
langage nous permettant de pénétrer dans l’univers de ce métier particulier et
d’être capable d’ajuster progressivement nos gestes à ceux des autres. Chaque
métier développe ainsi un langage spécifique, et plus un métier se spécialise,
plus le langage qu’il utilise se précise et se singularise.
Nous pourrions prolonger ce rapide tour d’horizon en prenant des
exemples de métiers n’étant pas liés à des matières physiques telles que le
sont la farine ou le bois mais à des réalités « immatérielles ». Le
comédien comme l’instituteur rentre dans cette catégorie et chacun d’eux
développe un langage particulier pour se comprendre avec ses pairs. Si nous
allons plus loin, nous pouvons également prendre en considération le fait que
le mot métier peut également désigner les activités d’un ensemble plus vaste de
personnes. Evoquer les métiers de l’information ou ceux de la finance, par
exemple, renvoie non plus à des activités individuelles mais à des réalités
plus complexes touchant tout un secteur.
Dans chacun de ces métiers se développent des langages
spécifiques, et dans chacun d’eux des hommes et des femmes transforment des
réalités afin de rendre un service particulier.
Chaque métier a ses particularités, son langage, mais dans chaque
cas, pourtant, nous utilisons le même mot « métier » pour désigner
ces réalités, distinctes les unes des autres. On peut tenter de préciser le
point commun désigné par ce mot.
Le mot métier ne décrit pas une réalité
tangible comme nous l’avons vu car cette dernière est propre à chaque métier,
mais il décrit plutôt un type de relation
entre des sujets et des réalités
concrètes. Tout métier qui s’exerce transforme concrètement une réalité
donnée, ce qui demande un travail et un savoir-faire spécifique. Et comme nous
venons de le voir, tout métier peut être exercé par une personne ou par un
ensemble de personnes. On peut associer le mot métier à chacun de ces
« savoir-faire spécifiques » en précisant que la spécificité en question touche à la nature même de ce qui est
transformé, non à la notion de métier en tant que telle. Le Métier nomme
une relation active à des matières
diverses, qu’elles soient matérielles ou immatérielles, individuelles ou
collectives. C’est la relation aux choses.
C’est probablement pour cette raison que le mot réapparaît lorsque l’on parle
du métier de telle ou telle entreprise, ou encore du métier de père ou de
mère : c’est l’engagement intime d’une ou plusieurs personnes dans une
activité importante pour eux qui est ainsi souligné.
Il faut ajouter à ce savoir-faire, ou plutôt l’y intégrer, la capacité
à répondre à un besoin, une attente, à une demande spécifique également. Un
métier est toujours exercé au bénéfice d’autres personnes, son étymologie en
conserve d’ailleurs la trace puisqu’elle contient l’idée de ministère (d'après le Petit Robert, métier viendrais du croisement entre Ministerium, menestier, ministère et Misterium, mestier).
Le métier est un service. Nous retrouvons ici la notion de relation mais appliquée à
autrui : c’est la relation à l’autre, celui ou ceux à qui l’on
destine le produit de son activité. La finalité du métier est orientée vers
autrui.
Ainsi, si chaque situation est différente, si chaque domaine est
particulier, si chaque métier a ses savoir-faire propres, ils sont cependant
tous pris dans un seul et même jeu de relations : le métier désigne la
capacité à produire un service – cela peut passer par la fabrication d’un objet
- à partir d’une réalité donnée, nous pourrions dire une matière, au bénéfice d’autrui. Il y a là, si l’on veut avoir une
approche plus analytique, relation aux choses, relation aux autres et relation
à une technicité. Tout métier se situe au cœur de ces trois pôles. Pour être
complet, il faut ajouter un 4° pôle, celui de la relation à soi, car tout
métier est exercé par une ou
plusieurs personnes, il n’est pas une entité « en soi », dissociable
des personnes qui l’exercent. Réussir ne se fait par hasard, cela demande de
l’attention et de la volonté. Exercer un métier est une activité dans laquelle
la ou les personnes s’investissent.
Cela se remarque dans des expressions telles que « non, cela n’est pas mon métier » ou « je suis professeur » ou encore, « ce
n’est pas un vrai métier, mais cela
me permet de vivre ».
Reprenons nos quatre pôles circonscrivant le métier. Nous avons
repéré le rapport aux choses, à ce
qui est transformé, le bois pour l’un, les connaissances des élèves pour le
second et la dynamique financière d’une entreprise pour le troisième. Nous
avons repéré le rapport aux autres,
celui ou ceux pour qui l’on réalise un travail, sa destination. Nous avons
également repéré le rapport à la
technicité - dans lequel nous pourrions inclure l’outillage - que l’on peut
considérer comme ce qui permet aux
personnes d’atteindre le résultat voulu, aussi bien les moyens et ressources
que les gestes et les façons de faire propres à ceux qui agissent. Et puis
n’oublions pas qu’un métier s’exerce par des personnes qui s’impliquent dans ce
qu’ils font afin de réussir : rapport
à soi. On retrouve la présence de ces quatre relations dans tout métier,
ces invariants suffisent à en définir les contours. Chaque résultat est alors le
produit de l’exercice d’un métier appliqué à une réalité donnée. Ces quatre
repères permettent à celui, celle ou ceux à qui l’on demande de réaliser un
travail de se régler avec ce qui leur
permettra d’y parvenir.
Une autre façon de dire que le métier ne se définit pas en soi, mais qu'il se règle et se pratique.